L’AFFAIRE DES INVENTAIRES DE 1906 EN VENDÉE
Après qu’en 1789 le gouvernement révolutionnaire se soit approprié l’ensemble des propriétés de l’Église catholique en les déclarant biens nationaux, le Concordat Napoléonien de 1801 avait confié la gestion des lieux de culte (églises, cathédrales, séminaires) à des organismes publics, tels que les fabriques paroissiales. Celles-ci géraient tous les lieux de culte : les monuments anciens (antérieurs à 1789) aussi bien que tous les nouveaux édifices construits au cours du XIXème siècle. Or ces derniers avaient vu le jour grâce aux dons des fidèles ou de certaines familles, qui avaient en outre financé les cloches, les vitraux, le mobilier, les vêtements liturgiques, les objets du culte etc...
Désireux d’en finir avec le Concordat de 1801, les gouvernements anticléricaux de la IIIème République vont procéder d’abord à l’expulsion des Congrégations non autorisées (par leurs soins), puis à la Séparation de l’Église et de l’État. Cette dernière loi, datée du 6 décembre 1905, décidait de la dévolution des lieux de cultes à des associations cultuelles (qu’il fallait former).
Les catholiques, déjà sur leurs gardes depuis les mesures antireligieuses précédentes, n’acceptaient pas cette spoliation de leurs dons, qui pour eux portait tout simplement atteinte à la propriété privée. Certaines familles vont alors décider de reprendre possession des maisons données à usage de presbytères par exemple, comme à Mouchamps, Vendrennes, Saint-Vincent-Sterlanges, etc…
Quelques jours plus tard, le 29 décembre 1905, un décret d’application, pris dans une logique administrative (au mieux maladroite au pire volontairement agressive), prévoyait qu’« un inventaire descriptif et estimatif » serait établi de tout ce que contenait ces édifices à transférer. L’exaspération des fidèles était portée à son comble, car cette mesure apparaissait comme un préliminaire à la spoliation voire à la fermeture des églises.
Et pour couronner le tout, au début de l’année suivante, le 2 janvier 1906, une circulaire destinée aux agents du fisc annonçait que « les agents chargés de l’Inventaire demanderont l’ouverture des tabernacles ». C’est cette phrase, jugée comme une véritable provocation, qui allait mettre le feu aux poudres. Pour les catholiques, il s’agissait tout bonnement d’une véritable profanation sacrilège organisée par le pouvoir, à laquelle ils avaient bien l’intention de s’opposer de toutes leurs forces. Tous les éléments étaient en place pour que cette affaire suscite des émeutes et une opposition farouche.
L’évêque de Nantes lit sa protestation à l’Inspecteur de l’enregistrement.
Les émeutes les plus violentes vont avoir lieu dans les régions profondément catholiques : dans les Flandres, le Massif Central, le pays Basque, la Savoie, en Normandie, en Bretagne, en Anjou et en Vendée. Pour y faire face, les préfets feront escorter les fonctionnaires du fisc par les gendarmes et seront même obligés de faire donner la troupe. De nombreux officiers préféreront alors démissionner plutôt que de se prêter à ce genre de besogne.
Le premier incident violent a lieu le 27 février 1906 à la chapelle de Champels dans la commune de Monistrol en Haute-Loire et fait 4 blessés. Quelques jours plus tard, le 3 mars à Montregard dans le même département, il y a un blessé très sérieux. Mais le problème le plus grave se déroule le 6 mars 1906 devant l’église Saint Martin à Boeschepe dans le Nord. Il fait un mort, Gery Ghysel, boucher âgé de 35 ans et père de 3 enfants.
A droite : le portail de la sacristie fracturé après l’Inventaire.
Le lendemain 7 mars, l’Assemblée nationale renverse le gouvernement de Maurice Rouvier. A l’issue de la crise ministérielle, un nouveau gouvernement est formé le 14 mars par Ferdinand Sarrien, avec comme ministre de l’Intérieur Georges Clemenceau. Ce dernier déclare à la chambre des députés : « la question de savoir si on comptera ou ne comptera pas des chandeliers dans une église ne vaut pas une vie humaine ».
Les Inventaires sont suspendus dans les endroits où ils se heurtent à une forte opposition. Ils seront repris avec plus de discrétion quelques mois plus tard. Toutefois, pour pénétrer dans les églises barricadées, on n’hésitera pas à en fracturer les portes (d’où le surnom de « gouvernement de crocheteurs » donné par l’opposition).
Ainsi, le pouvoir politique avait tenu à donner l’impression que force restait à la Loi. Toutefois les documents produits n’étaient, dans tous les domaines, d’aucun intérêt (incomplets, imprécis, et inexacts). En voici un exemple en Vendée, à Saint-Vincent-Sterlanges : le célèbre reliquaire en bois doré du XVIIème siècle a été inventorié comme « reliquaire en cuivre du XIVème ». Autre exemple dans le même département, dans la commune de Chavagnes-en-Paillers, où les habitants étaient tous solidaires, l’inspecteur n’a pas inventorié grand-chose à part les bancs, les objets intéressants étaient tous cachés dans les maisons voisines.
L’église de La Rabatelière barricadée avant l’Inventaire.
En Vendée, les opérations d’Inventaire ont débuté le 20 janvier 1906. Des manifestations hostiles de plus ou moins d’importance ont eu lieu dans la plupart des paroisses, mais le souvenir en a été conservé dans celles qui ont fait l’objet de reportages photographiques. Ce sont ces derniers que nous allons vous présenter maintenant.
Les fidèles ont commencé par se barricader en obstruant les portes, dressant des barricades de bois ou de chaises, créant des obstacles. La photo ci-dessus nous en montre un bon exemple à La Rabatelière où les paroissiens ont muré les vitraux et posé une roue de charrette destinée à tomber sur les « voleurs ».
Les manifestants devant l’église de Chambretaud.
Comme précédemment à Nantes, l’Abbé Brébion curé de Chambretaud lit sa protestation à l’agent du fisc, au milieu d’une foule de manifestants, le 1er mars 1906. Découragées cette fois-ci, les autorités sont revenues 8 mois plus tard avec un groupe de gendarmes pour contenir la foule le 21 novembre de la même année et ont ainsi pu procéder à l’Inventaire.
Les gendarmes ont pris place devant l’église de Chambretaud.
A la Verrie, commune proche de la précédente, l’affaire a été plus importante, puisque les gendarmes et deux compagnies de soldats d’infanterie commandés par un capitaine ont été mobilisés. A. Hisson, photographe à Mortagne-sur-Sèvre, a d’ailleurs édité plusieurs séries de cartes postales sur cet évènement (pas classées chronologiquement). Celle reproduite ci-dessous porte le numéro 8. On notera que pour ces clichés, les personnes présentes ont pris la pose et que l’auteur fait preuve d’humour dans ses commentaires : « foule sympathique » ou bien « paisiblement ».
Les manifestants sur la place de La Verrie.
Cette deuxième carte postale, qui porte le numéro 4 dans la même série, montre la troupe ayant pris position sur la place. Ici aussi, curieusement les soldats, comme les personnes présentes, ne sont pas en action mais prennent soin de faire face au photographe.
Les soldats devant l’église de La Verrie.
Encore plus bizarrement, cette scène d’action semble elle aussi posée. C’est le moment où les autorités ont requis du personnel pour forcer la porte de la sacristie de l’église de La Verrie. Cette carte, réalisée aussi par le photographe Hisson de Mortagne-sur-Sèvre, mais non numérotée, n’appartient pas à la même série que les deux précédentes.
La porte de la sacristie de La Verrie fracturée.
Le 15 février 1906, c’est dans la commune de la Pommeraie-sur-Sèvre au Nord-Est du département que se déroulent les inventaires. Cette fois-ci, dès la première tentative, les forces de l’ordre ont été déployées. On les voit ici contenir les manifestants sur la place au sud de l’église Saint Martin.
La place de La Pommeraie pendant l’Inventaire.
Pour la photo, les soldats se sont placés de façon à faire la haie et montrer au fond la porte principale de l’église défoncée pour permettre le passage des agents du fisc. On devine par le trou pratiqué les barricades un peu symboliques, réalisées avec des chaises.
La porte de l’église de La Pommeraie défoncée après l’Inventaire.
De la même manière, à Saint-Laurent-sur-Sèvre, les Inventaires provoquent le regroupement de nombreux manifestants. Lors de la première tentative, ils entourent les autorités civiles et le curé. Il s’agit là d’une photo carte appartenant à une série réalisée par le photographe local, Abel de Saint-Laurent-sur-Sèvre.
Les manifestants regroupés à Saint Laurent-sur-Sèvre.
A la Boissière-de-Montaigu, la porte principale de l’église Notre-Dame de l’Assomption a été complètement défoncée dès le 7 mars 1906 au début de la période des Inventaires. La carte a été réalisée pour la circonstance par un photographe inconnu localement Cormerais peut être pour une diffusion régionale.
La porte de l’église de la Boissière défoncée.
Dans cette même commune, une fête est organisée sur la place, avec un feu de joie, pour célébrer la libération des prisonniers arrêtés à l’occasion des manifestations d’opposition aux Inventaires. La légende de la carte nous indique quatre dates : les 2, 3, 7 et 22 mars 1906. Il s’agit peut-être des dates précises de différentes arrestations de manifestants. On remarquera sur la gauche la présence du clergé en vêtements liturgiques.
La fête à La Boissière après les Inventaires.
Cette carte postale nous montre une manifestation « sympathique », vraisemblablement de soutien, qui voit des gens défiler à pied et en charrette à cheval le soir devant le presbytère de Mortagne-sur-Sèvre dans le cadre de l’affaire des Inventaires. La légende fait référence à un incident particulier qui aujourd’hui ne nous est pas connu. Peut-être s’agissait il d’un appel téléphonique des autorités qui n’avait pu aboutir parce que la liaison était mauvaise ou avait été volontairement interrompue ?
Une manifestation à Mortagne-sur-Sèvre.
Comme viennent de nous le démontrer les cartes postales, les Inventaires ont entraîné des manifestations surtout au quart Nord-Est du département de la Vendée dans les communes les plus catholiques ; mais pas seulement. En effet, à Venansault, au centre du département, près de la Roche-sur-Yon, les choses ne se sont pas passées facilement. La photo ci-dessous nous montre une barricade dressée avec des fagots de bois et des roues de charrette devant la façade de l’église.
Les Inventaires à Venansault.
De la même manière à Olonne-sur-Mer, tout à l’Ouest de la Vendée, il y eut aussi des manifestations. Ce cliché, réalisé par le célèbre photographe Lucien Amiaud, nous montre le moment où le prêtre (reconnaissable à son rabat) dialogue avec les autorités (identifiables à leur chapeau melon) au milieu de la foule visiblement en train de chanter des cantiques.
A la Garnache, commune située au Nord-Ouest du département, le marquis de Baudry d’Asson, député de la Vendée, avec les paroissiens, s’est couché sur le sol devant l’église pour empêcher les autorités d’entrer.
Les Inventaires à Olonne-sur-Mer.
A Foussais-Payré, c'est-à-dire au Sud-Est du département, dans la zone de la Vendée dite républicaine, les soldats de la troupe ont été là aussi appelés pour intervenir, comme nous le montre cette photo.
Les Inventaires à Foussais.
S’il n’y eut pas de morts ou de blessés graves en Vendée lors des manifestations d’opposition aux Inventaires, des coups furent parfois échangés avec les soldats ou la maréchaussée. Les gendarmes de Palluau, par exemple, se plaignirent devant les tribunaux d'avoir été piqués aux fesses avec des épingles à chapeaux et même mordus. Les manifestantes mises en cause se défendirent en montrant qu’elles ne portaient jamais de chapeaux mais seulement des coiffes.
Chantonnay le 10 août 2023.