CHARLES JOUFFELOT, ÉDITEUR DE CARTES POSTALES
Charles, Émile, Célestin, Élie JOUFFELOT est né 21 août 1887 à Chantonnay en Vendée. Son père Célestin Jouffelot était coiffeur dans cette ville, rue Nationale, mais il n’appartenait sans doute pas à une famille locale. Il est né à Saint-Juire-Champgillon dans le canton voisin de Sainte-Hermine. En revanche sa mère Elisabeth Mallet, épicière rue de Bordeaux, appartenait à une famille de commerçants déjà présente à Chantonnay et dans le canton au moins depuis le XVIIIème siècle (elle est dite « sans profession » sur l’acte d’état civil, sans doute pendant la grossesse).
L’acte de naissance de Charles Jouffelot (archives départementales).
Il est tout d’abord devenu élève à l’école primaire publique de garçons, située place de la République, à 100 mètres environ de l’habitation de ses parents. Âgé de 11 ans en 1898, il entre alors à l’École Primaire Supérieure (E.P.S) établie dans le même groupe de bâtiments. Il y poursuivra ainsi ses études jusqu’en classe de troisième, à l’âge de 15 ans, c’est à dire en 1902.
Il restera très attaché à cet établissement. En effet, il lui a consacré plus tard, dès 1904, un véritable reportage photographique qui sera édité en sept cartes postales : l’entrée et les élèves, l’aile gauche, le bâtiment principal, l’aile droite, l’atelier de menuiserie, le préau gymnase, la fanfare (N° 1 bis à 7 bis), sans compter tous les clichés où on aperçoit des élèves de l’E.P.S en promenade (reconnaissables à leur uniforme). La plus connue de ces dernières est reproduite ci-dessous ; on y retrouve alignés en V le personnel et les élèves de l’Établissement. Ces cartes constituent aujourd’hui un très riche témoignage sur la vie scolaire du début du XXème siècle.
La façade de l’E.P.S, le personnel et les élèves en 1904
A la sortie de l’école, après le diplôme du Brevet, il a ensuite fait un apprentissage d’imprimeur pendant deux ans de 1902 à 1904. Nous ne savons pas exactement à quel endroit, mais nous serions tenté de penser que cela pouvait être dans la ville même de Chantonnay, chez Amédée Gaultier imprimeur.
En tous cas, c’est durant cette période qu’il a été initié à la photographie. Il réalise d’ailleurs ses premiers clichés dès la fin de l’année 1902 et ils seront édités en cartes postales à cette date, sous l’appellation : « Imprimerie Papeterie C. Jouffelot Chantonnay ». Quatre sont aujourd’hui connues des collectionneurs : la vue générale, la rue Nationale, le château de la Mouhée et le viaduc de l’Angle. La première est sans doute celle qui est reproduite ci-dessous, non numérotée et représentant une vue générale du bourg prise du haut de la rue Nationale. La correspondance figurant sur la carte ne laisse aucun doute quant à la datation (fin 1902). Ce qui, en réalité, place le jeune Charles Jouffelot, âgé de seulement 15 ans 1/2, dans la catégorie des photographes précurseurs (c’est à dire ceux travaillant avant décembre 1903).
Vue générale par le nord du bourg en 1902.
Après cet apprentissage, en 1904, alors qu’il est toujours mineur et âgé de 17 ans, il travaille comme imprimeur à son compte, sous le couvert officiel du magasin tenu par sa mère « Épicerie Librairie Papeterie Imprimerie Bazar » au N° 5 de la rue de Bordeaux (actuelle avenue Georges Clemenceau). En réalité, on aura compris qu’il le faisait déjà durant son apprentissage.
Il semblerait que nous soyons dans cette situation paradoxale où le fils ait désormais son père comme employé dans une entreprise n’existant que sous le couvert légal du magasin de sa mère. En tous cas, l’imprimerie est bien dans le nom de Charles, comme le prouve la facture publiée plus loin et établie le 31 mars 1907 pour Monsieur Oscar Robin, propriétaire du domaine situé en face du magasin (parc Clemenceau actuel).
Sous ce statut particulier, qui va durer jusqu’à ses 21 ans en 1908, il va réaliser la plus grande partie de ses cartes postales (numérotées jusqu’à 58) et les plus caractéristiques. Par manque de moyen de communication, il est obligé de se cantonner à Chantonnay et aux abords immédiats (Sainte-Cécile en particulier). Il s’intéresse principalement aux différents aspects de la vie journalière des habitants. En effet, il photographie beaucoup de scènes de la vie quotidienne : la foire à Chantonnay, les fours à chaux, les moulins, l’ancienne mine de charbon et les rues de la ville etc. Sa carte postale du lavoir de la rue Lafontaine à Chantonnay (cf. reproduction ci-après) est la plus expressive de toutes les autres représentant des lavoirs en Vendée et réalisées par ses collègues (CP N° 44).
Vue du Lavoir de Chantonnay (aujourd’hui détruit).
De la même manière, quand il photographie la place de la Mairie un jour de foire en 1906, la carte est du plus grand intérêt pour l’histoire locale (voir ci-dessous). On y distingue les halles (détruites en 1967), la mairie (incendiée en 1930), l’ancienne école (reconstruite en salle municipale en 1932), la maison Sachot (annexée à la mairie), la maison du vétérinaire Goudeau (reconstruite récemment pour le Crédit Mutuel), l’édifice des poids publics (datant de 1887 et remplacé par un nouveau sur la place de la République en 1930) etc. (CP N°27).
La place de la Mairie et la foire.
Il photographie également avec la même qualité les évènements locaux importants. La carte reproduite ci-dessous, fait partie d’une série de deux, représentant l’impressionnant cortège lors de l’enterrement du Marquis Zénobe de Lespinay, Député-Maire de Chantonnay, Conseiller Général et Président de nombreuses associations le 6 juillet 1906. Le début du convoi funèbre, qui vient du château de la Mouhée, passe ici rue de Bordeaux juste devant le magasin Jouffelot.
L’enterrement du marquis de Lespinay en 1906.
Parallèlement il entreprend de faire une série spéciale de cartes sur les rives du Grand Lay, avec les moulins, les passerelles, l’assemblée, le canotage etc. Il va aussi visiblement essayer de photographier tout ce qui peut présenter de l’intérêt dans la commune. Il réalise aussi des cartes postales de publicité commandées par des clients comme celle reproduite ci-dessous représentant le magasin Papon, situé à l’angle de la place de la mairie et de la rue Nationale. Ce bâtiment qui servait au début du siècle de clouterie et de coutellerie, a ensuite souvent changé d’affectation, épicerie, café. Il est actuellement, en cette fin d’année 2022, en cours de démolition pour faire place à un immeuble.
Le magasin Papon rue Nationale en 1906.
Ces cartes de publicité de magasin ou d’entreprise font aujourd’hui la joie des collectionneurs, car elles caractérisent bien leur époque. L’autre carte reproduite ci-dessous est également une carte de publicité, mais il l’a incluse dans sa numérotation générale (CP N° 58). D’autre part c’est la seule qui constitue une double vue. Elle représente le garage Chauveau, quand il était encore installé place des Champs-Élysées (actuelle place Jeanne d’Arc). Il sera au cours du XXème siècle déplacé avenue Georges Clemenceau, puis avenue de Lattre de Tassigny. Cette carte est aussi intéressante par les exemples de voitures d’époque qu’elle montre.
Publicité pour le garage Chauveau.
L’année 1908 va marquer la fin de cette association avec sa mère, parce que Charles Jouffelot doit partir faire son service militaire. Et durant cette période de menace de conflit mondial, le service est de deux ans, en plus des périodes militaires successives. Il est donc incorporé le 6 octobre 1908 au 1er bataillon de chasseurs à pied à Épernay dans la Marne, puis finalement affecté au 137ème régiment d’infanterie de Fontenay-le-Comte, dont il sera libéré le 25 septembre 1910.
Ces deux longues années d’absence, dans la période la plus importante, vont fortement compromettre sa carrière d’éditeur de cartes postales. Ses concurrents auront eu le temps de couvrir l’essentiel de la clientèle de Chantonnay, comme Eugène Poupin de Mortagne-sur-Sèvre, Paul Dugleux de la Roche-sur-Yon ou Armand Robin de Fontenay-le-Comte.
Une facture faite par C. Jouffelot en 1907.
En 1910, au retour du service militaire, il est âgé de 23 ans et donc majeur ; il installe alors un studio et un magasin de photographe dans la maison contiguë au magasin de sa mère, au N° 3 de la rue de Bordeaux. Bien qu’ayant évidemment changé plusieurs fois d’affectation, ces deux bâtiments sont encore visibles aujourd’hui aux numéros 3 et 5 de l’avenue Clemenceau (cf. ci-dessous). Pendant cette période de sa vie, il va faire essentiellement de la photo et beaucoup moins d’imprimerie. Quant aux cartes postales, il manque toujours de moyen de communication pour pouvoir élargir son périmètre autour de Chantonnay.
Vue actuelle (2012) des 3 et 5 avenue Clemenceau à Chantonnay.
Il continue néanmoins à éditer des cartes postales, mais celles-ci sont surtout consacrées à des sujets ponctuels. Il publie en cartes, des photos qu’il prend lors des fêtes locales à Chantonnay bien sûr, mais aussi à Saint-Philbert-du-Pont-Charrault et même à La Jaudonnière. Dans le même esprit, à cette époque, il fait partie de « l’Association de la rue de Bordeaux », qui est en concurrence avec les associations de la rue Nationale et celle de la « République Libre des Quatre Routes ». Et ces trois dernières animent la ville par des fêtes qui essayent de rivaliser en importance et en fréquentation. Charles Jouffelot réalise à l’occasion de la cavalcade de la mi-carême du 2 mars 1913 une série spéciale de 15 cartes toutes très recherchées. Celle qui est reproduite ci-dessous (N°2) représente le char de l’Horticulture, attendant dans la cour arrière de son propre immeuble rue de Bordeaux.
Un char lors de la mi-carême de 1913.
Tous les clichés qu’il prend de sites, de monuments ou d’évènements ne sont pas forcément édités en cartes postales. Certains sont vendus en grand format sur des cartons. Pour produire ces cartes postales, ce sont des clichés identiques qui sont utilisés en contretypie. La photo reproduite ci-dessous représente la cour intérieure du moulin du Gué à Sainte-Cécile. Il a préféré un autre cliché plus animé pour réaliser sa carte postale du lieu, portant le numéro 18.
Une photo du moulin du Gué à Sainte Cécile.
Malheureusement, quatre années plus tard, sa carrière photographique va être de nouveau interrompue le 2 août 1914 par le début de la Première Guerre mondiale et cette fois-ci pour plus longtemps. Âgé de 27 ans, il est évidemment mobilisé et dès 4 août au 137ème régiment d’infanterie de Fontenay-le-Comte. Au cours de l’année 1914, ce dernier combat successivement en Belgique, puis à la Bataille de la Marne et dans la Somme. En fin d’année, il bénéficie d’une courte permission et il la met à profit pour aller faire un reportage d’au moins dix-sept photos et cartes postales (cf. ci-dessous) sur l’hôpital militaire temporaire bénévole N°30 Bis installé au château de la Mouhée à Chantonnay, chez la marquise de Lespinay.
Les blessés de l’Hôpital devant le château en 1914.
Le 18 janvier 1915, il est muté avec d’autres soldats au 87ème régiment d’infanterie parce que ce dernier a subi de très lourdes pertes l’année précédente. Toutefois, le 21 juin de la même année, malade, il combat dans les Vosges et est évacué vers l’ambulance de Rebeuville puis l’hôpital de Vittel pour « grande fatigue générale ». De là, il passe ensuite le 9 août à l’hôpital de Lyon. Deux jours plus tard, le 11 août, il est autorisé à partir en convalescence dans son foyer. Pendant cette période il fera quelques photographies en studio, en particulier pour des soldats en permission avec leurs familles (dont celle des grands-parents de l’auteur).
Il rejoint le front le 5 février 1916, mais malheureusement quelques jours plus tard le 28 février il doit de nouveau être évacué et cette fois-ci pour une « bronchite paludéenne ». Il entre alors à l’hôpital municipal de Lyon.
Durant cette période il a dû avoir l’autorisation de s’absenter, puisqu’il se marie à La Rochelle en Charente-Maritime avec Georgette Dubois, le 1er août 1916.
Retourné à l’hôpital municipal de Lyon, il est transféré le 29 août au dépôt des convalescents dans la même ville. Il en sort le 2 septembre et part en convalescence pour deux mois. Après cela, il rejoint le dépôt le 2 novembre et est reconnu comme inapte au service pendant 20 jours pour cause de « bronchite suspecte ».
Photo Jouffelot de la chapelle de la Mouhée en 1914.
Il passe ensuite au 93ème régiment d’infanterie le 6 mars 1917 et sert comme ordonnance du Général commandant la 111ème région aux armées. Blessé en service commandé le 20 mai 1918, il est évacué vers l’intérieur par convoi sanitaire et conduit à l’entrepôt d’Autun. Il en sort le 3 juillet et part de nouveau pour un mois de convalescence.
Il est alors envoyé à l’hôpital mixte de La Roche-sur-Yon pour « dyspepsie ». De là, il est conduit à l’hôpital de Nantes le 18 août, puis à l’hôpital militaire de la même ville et est de retour à celui de La Roche-sur-Yon le 29 août. A cet endroit, il est proposé à la commission de réforme pour « troubles dyspepsiques à l’estomac et entérocolite chronique imputable ». La commission le maintiendra dans le service actif avec une invalidité de moins de 10%. Toutefois, il sort de l’hôpital le 13 novembre 1918 et à cette date, la guerre est terminée.
Il restera ensuite considéré comme « sans affectation » et ne sera libéré définitivement de toutes obligations militaires qu’en 1936.
Les arcades de la rue Chaudrier à La Rochelle.
Comme il s’est marié à La Rochelle, il va aller habiter dans cette ville en 1919 et abandonner Chantonnay. Il y ouvre d’abord un studio de photos, mais comme à La Rochelle le marché des cartes postales est largement dominé par les Établissement Bergevin, il va changer de métier. Il ouvre alors vers 1920 un magasin de maroquinerie et d’articles de voyage « Les Nouveautés Parisiennes » à l’angle des rues Chaudrier et de Bazoges, tout près de la Cathédrale. Il meurt dans cette ville le 6 mai 1953 à l’âge de 65 ans.
Chantonnay le 10 décembre 2022.